Chapitre XXX
Mikhail se réveilla brusquement, sans passer par la période de demi-sommeil qu’il savourait normalement. Un instant il tombait dans un gouffre sans fond, et l’instant suivant il regardait des poutres noircies où roucoulaient des pigeons. Où était-il ?
Il tourna doucement la tête et vit Marguerida près de lui, profondément endormie. Un chaos d’images explosa dans son esprit : herbe rose, énorme pierre-étoile, femme lumineuse, homme allongé sur une couche. Varzil le Bon ! Il était vraiment venu dans le passé et avait parlé avec l’ancien tenerézu. Et il y avait autre chose. Pendant un moment, Mikhail chercha l’idée insaisissable. Puis il sentit le poids du métal enserrant son poignet, et il se souvint. Nous sommes mariés. Enfin ! Mère ne nous le pardonnera jamais ! Puis un besoin naturel interrompit ses réflexions.
Il s’assit vivement, et il eut le vertige. Sa vessie menaçait d’éclater, et il avait une faim de loup. Il se leva avec effort et tituba vers la porte tout en dénouant les cordons de son pantalon. Il parvint à faire quelques pas dehors, jusqu’à une ornière boueuse, avant de s’arrêter pour se soulager. Puis il referma son pantalon, et resta immobile, chancelant sur ses pieds, l’eau imbibant lentement ses bas. Si seulement il trouvait un endroit sec ! Il s’appuya contre un mur, respirant lentement, s’efforçant de ne pas s’asseoir dans une flaque.
Quand ses jambes cessèrent de trembler, il revint sur ses pas. Où étaient-ils ? Ces quelques pas parurent durer une éternité. Il se sentait faible et terriblement bête. Une fois revenu à l’intérieur, il réalisa qu’ils étaient dans une immense cuisine, et pas très propre en plus. Pourquoi dormaient-ils dans une cuisine, et pourquoi se rappelait-il vaguement d’autres personnes ? Apparemment, il était seul avec Marguerida, qui dormait toujours. Il avait dû rêver.
Il se laissa tomber sur un banc devant la table et y vit une miche, du fromage, quelques pommes ridées, quelques raisins secs, et deux oiseaux rôtis. Il fixa un moment ces victuailles, puis prit un morceau de fromage. Il lui parut salé, et il remarqua pour la première fois qu’il mourait de soif. Il y avait aussi un pichet et une petite tasse en bois. Il voulut se servir de l’eau, mais ses mains tremblaient tant qu’il en mit plus sur la table que dans la tasse.
Mikhail se mit à boire lentement, retournant l’eau fraîche dans sa bouche avant de l’avaler. Il crut se rappeler quelqu’un qui lui soulevait la tête et lui versait un liquide nauséabond dans la bouche. Quand était-ce arrivé, et d’où venaient le pain et les oiseaux rôtis ? Ce n’était certainement pas Marguerida qui avait fait le pain pendant… était-ce une nuit ou plusieurs ? Il ne savait pas, et il frissonna.
Un peu ranimé par l’eau, il eut l’impression d’avoir les idées plus claires. Il avait un vague souvenir de voix, toutes féminines, et d’une longue chevauchée cahotante. Il n’avait sûrement pas inventé ça. Et où étaient toutes ces femmes ? Les battements d’ailes au-dessus de sa tête étaient les seuls bruits de la cuisine, à part le crépitement du feu. Il ne parvenait pas à vraiment se concentrer. Au lieu de continuer à se ronger, il arracha la cuisse d’un oiseau et se mit à manger, en alternant les bouchées de viande avec les gorgées d’eau, et commença à se sentir mieux.
Il fallait qu’il se rappelle quelque chose, mais ça lui échappait. L’idée insaisissable continua à lui titiller le cerveau pendant qu’il mangeait. Après une cuisse et un morceau de blanc, il constata qu’il ne pouvait pas avaler une bouchée de plus, et se versa une autre tasse d’eau. Mais la combinaison pigeon-eau n’était peut-être pas indiquée, se dit-il, car il ressentit des crampes d’estomac. L’eau était-elle empoisonnée ? Mikhail se leva sur des jambes flageolantes et tituba vers la paillasse, ses bas trempés giclant sur les dalles glacées. Seules quelques braises continuaient à rougeoyer dans la cheminée, mais il vit des bûches et du petit bois empilés d’un côté du foyer. El tendit la main vers une petite branche et, au prix d’un effort surhumain, parvint à la mettre sur les braises. Il regarda les flammes lécher le bois sec et, soudain, se sentit transi jusqu’aux os. Sans doute à cause de ses bas mouillés. Il en arracha un péniblement à son pied glacé, mais enlever l’autre fut au-dessus de ses forces, et il resta immobile, assis au bord de la cheminée, un bas oscillant au bout de son bras, trop fatigué pour remuer.
Ses paupières, soudain très lourdes, se fermèrent, sa tête tomba sur sa poitrine. Il glissa dans une douce somnolence, puis revint à lui en sursaut. Mikhail fixa les flammes. Il grogna, et s’efforça de tirer une bûche dans le feu. La chaleur, c’était merveilleux, et il en voulait davantage !
— Qu’est-ce… ?
Une voix endormie le fit sursauter, et il lâcha la bûche, qui roula et tomba sur son pied nu. Il rugit de douleur et perçut les frôlements étouffés de couvertures qu’on repousse. Un instant plus tard, Marguerida était penchée derrière lui, très pâle.
Elle le saisit par les épaules et, se renversant en arrière, il s’appuya contre sa poitrine, sentant sa chaleur le pénétrer. Quels jolis seins elle avait sous cette chemise de nuit. Dommage qu’il n’eût que la force de reposer contre eux. Et pourquoi avait-elle empilé ses cheveux au-dessus de sa tête de cette manière provocante ? Voulait-elle le rendre fou à la vue de son cou gracieux ?
— Qu’est-ce que tu faisais ? demanda-t-elle, d’un ton que l’inquiétude rendait acerbe.
— Je pissais, marmonna-t-il.
De nouveau, il avait l’esprit brouillé et l’élocution difficile.
— Ah bon. Il faut te reposer. Je vais te ramener… Où sont les Sœurs ?
Il sentit chez elle un mouvement de frayeur. Puis elle se raidit, et il sut qu’elle se forçait à garder son calme.
Mikhail se laissa ramener à la paillasse. Elle l’y allongea, lui ôta son autre bas, étendit sur lui les couvertures et le borda. Puis il la regarda ajouter quelques bûches dans le feu, et s’approcher de la table. Ses mouvements semblaient lointains, comme s’il la regardait d’une grande distance. Il s’efforça de secouer l’apathie qui s’emparait de lui, mais ce fut impossible.
Il vit Marguerida considérer les victuailles, froncer les sourcils et hausser les épaules. Puis elle revint vers lui, s’agenouilla et lui repoussa les cheveux en arrière.
— Comment te sens-tu ?
— Glacé. Faible. Fatigué, dit-il, au prix d’un immense effort.
— Tu n’auras plus froid très longtemps – ton front est chaud, et il ne va pas tarder à faire bon. J’espère qu’elles ont laissé de la tisane fébrifuge. Je regrette qu’elles nous aient abandonnés… oh, Mik !
— Oui ?
— Nous avons été secourus par un groupe de Sœurs de l’Épée – je crois qu’on les appelait comme ça, à l’époque – et elles nous ont amenés ici. Damila a sans doute trouvé malsain de rester avec nous, je suppose. Zut !
— Où ?
Il avait l’impression d’un poids énorme écrasant sa poitrine, et toutes ses articulations étaient en feu alors qu’il avait toujours froid.
— Où ? Ah, tu veux savoir où nous sommes ! Elles appellent ça la vieille maison El Haliene. Damila dit qu’elle est abandonnée et que seules les Sœurs y viennent. Nous avons campé ici, elles ont préparé le dîner et… je suppose qu’elles se sont éclipsées pendant que nous dormions. Je le comprends, mais je le regrette. Au moins elles nous ont laissé à manger.
— J’ai mangé.
— Oui, j’ai vu.
Elle lui tapota doucement la main, mais il aurait préféré qu’elle s’abstienne, car il avait la peau sensible et même un léger contact était douloureux. Il grimaça malgré lui.
— Bon, il faudra faire au mieux. Nous avons de l’eau – il doit y avoir un puits quelque part, et je le trouverai. Et elle nous ont laissé quelques provisions, alors nous ne mourrons pas de faim.
Mikhail frissonna de la tête aux pieds, son corps s’arqua, parcouru de spasmes, et, se tordant dans des douleurs atroces, il s’entendit crier. Il essaya de réprimer ce hurlement terrible, mais ce fut impossible. De très loin, il entendit Marguerida pousser un cri consterné, puis jurer.
Le peu qu’il avait mangé lui remonta dans la gorge et sa bouche s’emplit de bile. El sentit deux mains vigoureuses le saisir par les épaules et l’asseoir, de sorte qu’il ne s’étouffa pas, et qu’il ne vomit pas non plus. Il tremblait de tous ses membres, les articulations douloureuses, le sang en feu.
— Ta main ! parvint-il à articuler.
Mikhail ! Que veux-tu dire, ma main ?
Ça stoppe les spasmes.
Euh ? Ah oui ! Ton bras gauche tremble moins que le droit. Je me demande…
Il la sentit serrer son corps contre le sien, puis lui poser la main gauche sur la poitrine. Alors même qu’il haletait encore, il perçut un changement subtil dans son corps, comme si les battements de son cœur ralentissaient et reprenaient leur rythme normal. Il réalisa vaguement que Marguerida utilisait son propre rythme cardiaque pour régulariser le sien, et que, grâce à sa matrice fantôme, elle rechargeait son énergie.
Que lui arrivait-il ? Il vit mentalement un bijou étincelant, et tout lui revint d’un seul coup. Il portait la bague-matrice de Varzil Ridenow ! Il en sentait l’anneau métallique sur sa peau. Et il serrait la gemme dans son poing fermé. Choc matriciel !
Mikhail se força à ouvrir la main. Il sentit la sueur couler sur son visage dans ses efforts pour desserrer ses doigts. Puis, les muscles encore tremblants, il fit tourner l’anneau et ramena la pierre sur le dessus de la main. Cela parut durer une éternité mais il savait que ça s’était passé très vite.
Maintenant, il respirait plus facilement, et son cœur reprenait un rythme régulier. Mikhail entendit Marguerida grommeler entre ses dents, déplaçant sa main ici et là sur son corps. Il y avait dans son esprit comme une petite boule de panique, tenue en respect par la volonté, l’entraînement et une incroyable détermination.
C’était extraordinaire, et il essaya de s’accorder avec elle, de se fondre en elle, dans la beauté et la force de son action. Et en même temps, il avait conscience qu’elle faisait quelque chose de très peu orthodoxe, qu’elle se servait de son laran d’une façon qu’il n’avait encore jamais observée. Était-ce une des innovations d’Istvana ?
Le feu de ses articulations diminua, et ses spasmes se calmèrent. Il avait l’impression de flotter dans un bain chaud, dans une mer calme qui soutenait son corps. C’était comme de s’abîmer dans la musique. L’énergie caressait ses nerfs au lieu de les torturer.
Qu’est-ce que tu fais ?
Chut !
Mikhail obéit, se fiant à elle comme il ne s’était jamais fié à personne. Elle avait déjà fait ça, non ? – quand il croyait qu’elle allait étrangler Varzil. C’en était trop, ce souvenir. Il avait peur de penser. La folie lui semblait éloignée d’une respiration, et il ne voulait pas y sombrer. Il devait faire confiance à Marguerida, c’est tout. Mais c’était difficile.
Ses muscles torturés commencèrent à se détendre, maintenant tout flasques d’épuisement. Puis il s’aperçut qu’il était trop fatigué pour réfléchir. Seul le repos comptait pour le moment.
Le repos ! Une présence froide et implacable remua en lui. Te cacher derrière les jupes d’une femme ? La laisser faire tout le travail ? La douce léthargie qui commençait à l’envahir disparut, remplacée par la peur, et le dégoût qu’il s’inspirait.
Mik, arrête de me repousser !
Le cri était lointain, et il fit de son mieux pour l’ignorer. Il ne voulait pas de son aide, de ses soins. Il ne supportait pas de lui être davantage redevable qu’il ne l’était déjà. Il était indigne de sa générosité.
Non, non – c’était Marguerida ! Mais… c’était une femme, comme Javanne, toujours en train d’intriguer, de manipuler, de lui faire sentir ses insuffisances. Et si Marguerida le soignait maintenant, le sauvait, il serait encore plus indigne d’elle. Elle ne lui permettrait jamais d’oublier qu’elle l’avait sauvé, non ? Bien sûr que non – les femmes étaient implacables. Sa mère était toujours implacable.
Et elle était si magnifique, si merveilleuse ! Il ne lui arrivait pas à la cheville ! Aucune bague ne pouvait faire de lui son égal. C’était un combat qu’il ne pouvait pas gagner. Mikhail regarda en lui et vit un visage contracté le regarder en retour. Il n’avait jamais vu de visage plus triste, de contenance plus misérable. Et pourtant, c’étaient ses propres traits qui le regardaient, l’air perdu et hanté. Comme il la détestait, cette faiblesse – cette peur répugnante ! Mieux valait être mort.
Sous sa révulsion, d’un endroit dont il ignorait l’existence, sortit une vrille de pitié, si petite, qu’il ne remarqua pas d’abord qu’elle formait une poche de chaleur dans le froid ambiant, une trace tiède dans la glace de son âme. Pauvre petite chose, esseulée dans le noir. Pauvre Mikhail – pas assez bon pour plaire à sa mère, pour gagner sa tendresse. Pas assez bon pour chausser les bottes de Régis. Et sûrement pas assez bon pour porter le bijou qu’il avait au doigt.
De nouveau, la souffrance l’oppressa, son sombre et triste jumeau lui écrasant la poitrine dans une posture d’amant. Il sentait son souffle brûlant et fétide sur ses joues. Il aurait voulu se débattre, rejeter le poids qui l’étouffait. Il combattait cet horrible monstre depuis des années, et n’avait jamais pu le vaincre. Autant renoncer, et le laisser aspirer son dernier soupir. Il était trop las pour continuer la lutte.
Le spectre s’évanouit alors, et un autre visage flotta devant ses yeux. Un visage de vieillard, sage et digne. Les yeux le contemplaient, pleins d’une compassion infinie, et cela lui fit mal et l’exaspéra. Il ne voulait pas de cette pitié – il savait ce qu’il était ! Mais les yeux bleus de Varzil le transperçaient.
Je suis trop imparfait. Je ne peux pas porter la bague que tu m’as donnée !
Mikhalangelo, nous sommes tous imparfaits. Et tu as la force d’utiliser la matrice, si tu veux seulement être un peu plus indulgent avec toi-même.
Indulgent ? Je ne suis pas assez faible sans y ajouter ça ? Il cracha ses mots, plein de rage et de haine envers lui-même.
Le visage grave sourit. Tu t’imposes des exigences que même un dieu ne pourrait pas satisfaire, mon fils. Tu transformes la moindre imperfection en échec monstrueux. Ne sens-tu pas le poids de ces reproches peser sur toi ?
Si !
Tu as sur le cœur dix fois le poids du Mur-Autour-du-Monde, Mikhalangelo. Ce n’est pas ma modeste bague qui t’oppresse, mais ta propre peur.
Je veux mourir !
Tu mourras, mais pas aujourd’hui. Lâche tout ! Ce n’est pas un trésor que tu serres dans ta main, mais un paquet d’ordures.
Des ordures ? Cela lui sembla une définition remarquable de l’accablement qu’il éprouvait.
Les petites imperfections magnifiées en grands échecs sont les ordures de l’âme. Relâche ton emprise sur ce monstre que tu as créé toi-même. Tu es digne de ta Margarethe, mais qui plus est, tu es digne de toi-même !
Vraiment ?
Il faudra que tu fasses confiance à mon jugement en la matière.
Il se débattit longtemps, lui sembla-t-il, puis il finit par renoncer. C’était épuisant de lutter avec lui-même. Et c’était bien futile.
Des émotions puissantes le submergeaient par vagues – claires et sombres, bonnes et mauvaises. Il ne s’était jamais douté qu’il en recelait tant, ni à quel point elles étaient puissantes. Puis elles se rejoignirent, se fondirent, et il ne les distingua plus les unes des autres. Il se laissa sombrer dans le tourbillon calmant de ses vieilles peurs et de ses vieux désirs, noyant en même temps son désespoir et son espérance. Et c’était bien ainsi.
Il sentit son corps défaillir, son cœur cesser de battre, son sang s’arrêter dans ses veines. Maintenant, Mikhail attendait la mort, l’acceptait, se lamentait sur lui-même sans embarras. Ce serait bientôt fini. Au moins, il périrait en une seule fois, au lieu de s’en aller par morceaux.
Bon sang, Mik, tu ne vas pas me planter maintenant !
Il sentit une claque sur sa joue, choc cuisant de la chair contre la chair. Cela lui fit l’effet d’un seau d’eau sur la tête, froide et revigorante.
Un poing martela sa poitrine, et son cœur repartit. Son angoisse recula, mais son souvenir persista, comme un goût de sel sur la langue. La tête sur les genoux de Marguerida, il voyait au-dessus de lui un visage de femme furieuse, dont le front luisait de sueur, et à qui ses cheveux décoiffés donnaient un air frénétique. Ses yeux d’or lançaient des éclairs.
— Aïe, dit-il, se frictionnant le sternum. Tu m’as fait mal.
— Très bien ! Si tu me refais jamais le coup d’arrêter ton cœur, je frapperai encore plus fort !
— Je n’essayais pas d’arrêter mon cœur, marmonna-t-il, se sentant insulté et incompris. Tu as l’air de croire que je le faisais exprès.
Marguerida eut un rire tremblotant.
— Oui, je suppose. Tu m’as fait tellement peur que j’en ai vieilli de dix ans, et ça… enfin, ça m’a mise dans une colère !
Une larme s’échappa de ses yeux et coula sur sa joue sans qu’elle s’en aperçoive.
— Jusqu’à présent, notre vie conjugale est atroce ! marmonna-t-elle.
Elle se mit à sangloter, et Mikhail regretta de ne pas avoir la force de la consoler. Il parvint tout juste à tapoter la main reposant sur sa poitrine, et à murmurer quelques faibles encouragements. Quelque chose titillait son esprit désorganisé, et au bout d’un moment, il répéta :
— Notre vie conjugale ?
Les sanglots se terminèrent en quinte de toux. Marguerida lui saisit le bras, le leva en l’air et il vit alors le bracelet à son poignet.
— Tu veux dire que tu as oublié ton serment de me servir toute ma vie, espèce de débile !
— J’ai dit ça ?
Il avait l’esprit brumeux, mais il se rappelait vaguement une promesse quelconque. Quand même, la servir ?
— Pourquoi je ne me rappelle pas – j’étais saoul ?
— Tu n’avais bu que de l’eau ! Ne me pousse pas trop loin, Mikhail Hastur ! Je suis déjà à bout. Tu ne te rappelles donc rien ? Varzil en train de nous marier et… et Elle ?
— Elle ?
Margaret parut bizarrement hésitante.
— Evanda, je crois.
Des souvenirs firent irruption dans sa tête – un visage de femme, belle et radieuse, des odeurs de ragoût et de pierre, une voix qui parlait. Mikhail se rappela le poids du bracelet se refermant sur son poignet, Marguerida qui disait : « Avec cet anneau…» Puis toute réalité avait disparu, le laissant errer dans un abîme sans lumière.
— Oh, Mik, j’ai eu si peur pour toi. Tu ne te rappelles pas ?
— Tout était confus dans ma tête, mais maintenant, oui, je me rappelle la femme.
Il se tut, soupira, ressentant sa fatigue, mais aussi une vigueur détendue, comme s’il avait parcouru une longue distance en très peu de temps.
— Amos ne croira jamais cette histoire, je te le prédis.
— Amos ? répéta Marguerida, l’air perplexe, puis inquiet, comme s’il délirait.
— Tu as oublié notre petit-fils imaginaire ?
— Ah oui, dit-elle, pouffant de soulagement. Hum ! Si nous continuons comme ça, nous n’aurons jamais d’enfants, sans parler des petits-enfants.
Puis elle rougit et détourna les yeux, raidissant les épaules dans sa frayeur.
— Pauvre Marguerida ! Je ne me rappelle rien après l’instant où tu m’as passé cet anneau au doigt. Je suis tombé du bord du monde, ou autre chose.
— Je n’en suis pas tout à fait sûre. Tout ce que je sais, c’est que la maison a disparu – je crois qu’elle n’avait jamais été là – et je me suis retrouvée dehors avec toi sous une pluie battante. Tu étais inconscient, alors je t’ai traîné sous un arbre. On était de plus en plus trempés, et j’ai cru devenir folle. Alors, étant la personne sage et raisonnable que je suis, j’ai voulu faire une expérience sur les échanges de chaleur, et j’ai failli nous calciner. Si je ne le savais pas avant, je sais maintenant qu’une connaissance fragmentaire est très dangereuse.
— Mais comment sommes-nous arrivés ici ?
— Grâce au cormoran.
— Euh ?
— Non, il ne nous a pas emportés sur ses ailes. Mais il est parti et il a trouvé des Sœurs de l’Épée. Elles t’ont couché sur un brancard et nous sommes venus ici.
Elle embrassa la cuisine du regard et soupira.
— Elles ont sans doute décidé que nous étions trop dangereux pour elles, parce qu’elles se sont éclipsées pendant notre sommeil. Je ne sais pas comment elles ont fait, mais j’étais si fatiguée qu’une armée entière aurait sans doute pu parader sans que je me réveille. Je suppose qu’elles nous ont laissé nos chevaux, dans ce qui sert d’écurie dans cette ruine.
— Je vois. Je suis désolé que…
— Ne sois pas idiot ! Ce n’était pas ta faute. Mais j’étais folle d’inquiétude, et j’ai tendance à prendre les choses très à cœur dans des moments pareils. Ce n’est pas un trait de caractère très utile, mais on dirait que je n’arrive pas à m’en débarrasser.
Elle fronça les sourcils et reprit :
— C’est peut-être une question de gènes, parce que mon père est comme ça, lui aussi. Oh, ce que je voudrais qu’il soit là ! Bon sang, je serais même heureuse de voir ton père ! Ou ta mère, ou même Gisela Aldaran et mon conseiller de l’Université qui était si antipathique !
Il entendait sa fatigue dans sa voix, comprenant qu’elle ne s’effondrait pas par un pur effort de volonté.
— Ma bien-aimée, dis-moi ce que tu viens de faire. C’était différent de tout ce que je connais.
— C’est difficile à dire, parce que j’étais uniquement guidée par mon instinct, comme si je composais un morceau de musique.
Elle s’arrêta et réfléchit, fronçant les sourcils.
— Je crois que je t’étrillais à fond.
— Quoi ?
— Comme un cheval – je t’étrillais. Pour démêler tes nœuds intérieurs avec ma matrice. Mais il y avait autre chose.
Elle se tut une minute, et reprit :
— Quand j’ai pris la matrice de Varzil pour te la donner, elle m’a touchée un instant. J’ai reçu quelque chose que je n’ai pas encore bien compris, mais je crois que je pourrai découvrir comment on guérit. J’ai appris à mesure comment me servir de cette maudite matrice – quand j’ai tué les bandits, et quand j’ai dégagé les canaux de Varzil. Mais c’étaient des essais rudimentaires. Comment te sens-tu ?
— Fatigué. Courbatu. Mais propre et net aussi. Il ne me manque plus qu’une semaine de sommeil, de la nourriture à gogo, un bon bain et des vêtements propres. Je déteste mes courbatures, mais mon odeur… pouah !
— Nous sommes crasseux et puants tous les deux. Et je parierais qu’il n’y a pas une baignoire à cent miles à la ronde. Et à moins que je n’arrive à attraper quelques pigeons, tout ce qu’il y a à manger est sur la table.
Les paupières de Mikhail s’alourdirent et il glissa dans la somnolence.
— Je n’ai pas très bien pourvu à tes besoins jusque-là, ma carya. Pardonne-moi.
Puis il sombra dans un profond sommeil.
Un chant le réveilla. Il passa du rêve au demi-sommeil, les notes cristallines semblant appartenir à ces deux états. Il resta immobile, et écouta. Sous les paroles, il entendit le frottement régulier d’une brosse sur des pierres, le roucoulement des pigeons au-dessus de sa tête, le crépitement de la pluie à l’extérieur, et tous ces bruits se fondaient harmonieusement dans la musique.
Mikhail s’assit lentement. Il avait chaud, mais n’était pas fiévreux. La moiteur de ses vêtements lui apprit qu’il avait transpiré en dormant. Il embrassa la cuisine du regard, et vit Marguerida en train de balayer à l’autre bout de la pièce. Elle avait ôté sa grosse chemise de nuit blanche, et ne portait que sa chemise et un unique jupon. Elle avait noué un foulard sur ses cheveux, et son cou était complètement exposé aux regards, chose qu’aucune Ténébrane n’aurait faite, et il fut surpris de sa charge érotique et de la réaction vigoureuse de son corps.
Il l’observa une minute, apaisé. Il ne l’avait jamais vue si sereine. Il se dit qu’après tout ce qu’ils avaient vécu, balayer était un changement bienvenu.
— Qu’est-ce que tu chantes ? demanda-t-il doucement, pour ne pas la tirer brusquement de son calme.
— Quoi ? Oh, tu es réveillé !
Elle se tourna vers lui, souriante, les joues échauffées par le travail, et il la trouva plus belle qu’aucune femme qu’il eût vue de sa vie.
— C’est un vieux chant des rameurs de Thétis, qui sert à rythmer les coups de pagaïe.
— C’est très joli. Mais pourquoi balayes-tu ? Ça ne tardera pas à être aussi sale, dit-il, montrant les oiseaux au-dessus de sa tête.
— Tant que nous sommes obligés de rester là, j’aimerais autant que ce soit vivable, dit-elle avec un peu d’irritation. Pendant que tu dormais, j’ai localisé le puits, et trouvé une vieille marmite oubliée dans la dépense. J’ai fait chauffer de l’eau et tu vas pouvoir te laver.
— Parfait. J’en ai besoin.
— Moi, je me suis déjà lavée, et ça m’a fait un bien !
Elle sembla remarquer alors qu’elle était à demi dévêtue, baissa les yeux sur sa tenue et haussa les épaules.
— J’ai trouvé d’autre bois à brûler, alors nous n’aurons pas froid.
— Bonne nouvelle.
Mikhail sentait une gêne entre eux, la légère tension entre deux personnes mariées, mais dont le mariage n’était pas consommé. Il n’avait pas besoin d’être télépathe pour sentir qu’elle était embarrassée, mais il l’était aussi. Ou plutôt, intimidé.
Mikhail n’avait pas éprouvé de timidité devant une femme depuis son adolescence, et cette réaction l’étonna. Puis il réalisa qu’il ne s’agissait pas d’une femelle quelconque, mais de l’unique femme au monde qu’il aimait, et cela faisait une grande différence. Pas question de séduction à la hussarde. Il savait qu’ils se souviendraient tous les deux de la première fois aussi longtemps qu’ils vivraient. Il faudrait qu’il se montre doux et attentionné, quelle que fût son impatience, quelle que fût l’ardeur de son désir.
Il repoussa ses couvertures et s’approcha de la cheminée. Il y avait une marmite d’eau chaude, avec quelque chose qui flottait à la surface. Il renifla prudemment, et sentit une odeur de lavande et de saponaire. Où avait-elle trouvé ça ?
Mikhail ôta sa tunique et sa chemise puantes, dénoua les cordons de son pantalon, et s’aperçut qu’il y avait près de la marmite un gant de toilette encore humide. Tout en commençant à se laver, il s’émerveilla de la faculté d’adaptation de Marguerida. Il n’imaginait pas Gisela Aldaran, ni aucune autre femme de sa caste, en train de balayer et de faire la lessive. Il savait, parce qu’elle le lui avait dit, qu’elle avait vécu dans des conditions primitives sur plusieurs mondes. Elle avait habité dans des huttes, s’était vêtue de plumes et de fleurs sans grand-chose dessous, avait mangé de la viande crue et fait des choses qu’il trouvait inimaginables. Et elle avait sans doute balayé ces huttes également.
C’était un aspect de Marguerida auquel il n’avait jamais pensé jusque-là, et qui ne lui aurait pas inspiré le respect s’il n’avait pas passé des mois à la Maison Halyn, à nettoyer l’écurie et réparer les fenêtres. Un humble balai n’avait sans doute jamais orné les mains de sa mère, ni celles de Gisela. Il y avait toujours des domestiques pour s’occuper de ces choses-là, et il réalisa une fois de plus à quel point il était privilégié.
L’eau chaude et parfumée le débarrassa de sa crasse et il se sentit beaucoup mieux, quoiqu’un peu creux au niveau de l’estomac. L’odeur infecte de sa propre sueur disparut. Il aurait aimé avoir une vraie savonnette, mais c’était trop demander, et la saponaire, même un peu rude, fit l’affaire.
— Je suis sortie pendant une accalmie, et j’ai exploré un peu. Les chevaux sont dans une pièce qui devait être la laiterie. Les Sœurs ont laissé assez d’avoine pour deux jours, et ils ne manqueront pas d’eau. Dès que tu te sentiras en état de monter, nous pourrons partir. De toute façon, nous serons obligés de nous en aller dès que nous n’aurons plus rien à manger.
Elle semblait inquiète et fatiguée.
— Oui, je sais.
Il termina sa toilette, prit sa chemise, la roula eh boule et la jeta dans la marmite. Il la tourna dans l’eau, frotta l’étoffe dans ses mains jusqu’à ce qu’elle s’accroche à la bague. Varzil ne faisait sans doute jamais sa lessive. Cette pensée l’amusa tandis qu’il décrochait la bague, puis il sortit la chemise de l’eau, l’essora de son mieux et la suspendit à un clou dans la cheminée. Il l’entendit s’égoutter sur les pierres chaudes du foyer. Il vit que Marguerida lui avait ôté ses bas pendant son sommeil, qu’elle les avait lavés et mis à sécher près des siens. Il y avait quelque chose de réconfortant dans ce spectacle, dans l’impression qu’elle s’occupait de lui. Et pour la première fois, il n’en ressentit pas de rancœur.
Il y avait un seau en bois plein d’eau près de l’âtre. Mikhail le vida sur le sol, le remplit et le mit à chauffer. Cette simple tâche lui fit un plaisir immense. Si seulement tout le reste était aussi facile. Content de lui, il se retourna et demanda :
— Où est notre ami le cormoran ?
— Il était avec les chevaux tout à l’heure, et je crois qu’il réduit la population des souris. Je ne savais pas que les cormorans étaient des chasseurs, mais il faut dire que cet animal est exceptionnel à tous les égards.
Elle s’arrêta de balayer, appuya son balai contre la table et s’assit, soudain livide.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Ashara ! Je la sens ! Elle cherche quelque chose. Pas n’importe quoi, mais quelque chose de précis. Et j’ai l’impression que quelqu’un vient de marcher sur ma tombe.
Mikhail s’assit près d’elle, prit sa main droite dans sa main gauche, de sorte que leurs bracelets s’entrechoquèrent.
— Je tiens à te dire que je veux te protéger, mais je ne sais pas comment.
Elle secoua la tête et ôta son foulard. Elle avait des taches de poussière sur les joues, et elle se frictionna le visage, ne réussissant qu’à l’étaler.
— Je ne suis plus l’enfant que j’étais quand elle m’a possédée la première fois, et maintenant, j’ai ça, dit-elle fléchissant les doigts de sa main gauche. Le problème, c’est qu’elle pourrait me tuer, mais que je n’ose pas la tuer parce que cela modifierait l’avenir.
J’y réfléchissais en balayant. La solution, je crois, c’est d’être aussi discrets que des souris dans des lambris, pour qu’elle ne nous remarque pas.
Mikhail lui entoura les épaules de son bras et l’attira contre lui.
— L’anneau de Varzil ne va pas faciliter la chose. Je me sens aussi discret qu’un phare dans la nuit.
— Ce n’est pas toi qu’elle guette, Mikhail. Et de plus, ce n’est plus la bague de Varzil, mais la tienne dont une partie est… nouvelle. Je voudrais seulement savoir jusqu’à quand nous devrons rester cachés, et comment faire.
Il sentait l’odeur de son corps parfumé à la lavande, et la pulsation de son sang sous ses doigts.
— Je peux répondre à cette question, peut-être, mais la réponse ne va pas te plaire. J’ai rêvé cette nuit, et dans mon rêve, j’ai bavardé avec Varzil – du moins c’est ce que je me rappelle. Si j’ai bien compris, nous devrons nous trouver au rhu fead dans quarante jours. À part ça, le reste est vague.
— Quarante jours ? dit-elle, stupéfaite. Quarante… et qu’est-ce que nous sommes censés faire d’ici-là ? Nous tourner les pouces ?
La voix était stridente et il la sentit trembler contre lui. Son calme l’avait abusé. Elle était plus proche de l’hystérie qu’il ne l’avait pensé.
— Même Varzil ne peut pas commander aux lunes, ma chérie, dit Mikhail, qui regretta immédiatement ses paroles.
— Au diable les lunes et au diable Varzil. Ashara me trouvera avant, je le sais ! Et nous ne pouvons pas rester là si longtemps. Nous mourrons de faim.
— Non en effet. Et nous partirons bientôt.
Mikhail fit une pause, cherchant les mots pour exprimer sa pensée.
— C’est bizarre, mais j’ai l’impression qu’elle cherche une vierge, non une femme.
Il attendit, pour voir si elle avait saisi le sens de ses paroles.
— Quoi ? Oh, je vois – tu penses que nous devrions… et alors, je serai différente ! C’est bien la chose la moins romantique que j’aie entendue de ma vie, Mikhail Hastur ! Je ne m’attendais pas à des roses et des violons, mais…
Bredouillant d’indignation vers la fin, elle se tut, les lèvres pincées de contrariété, mais avec une petite lueur amusée dans l’œil.
Il ramena tendrement en arrière sa chevelure en désordre, et l’embrassa doucement sur la joue. Puis il se mit à retirer les épingles qui maintenaient ses cheveux sur le dessus de sa tête, et les mèches soyeuses glissèrent entre ses doigts. Il aurait pu continuer pendant des mois.
— Je ne peux pas te donner des roses, Marguerida, mais je t’ai déjà donné mon cœur, murmura-t-il.
Elle était terrifiée, mais il sentit le désir s’éveiller en elle. Son parfum, et la douceur de sa peau sous sa main, c’était presque insupportable. Mais il devait être patient, il le savait ; elle paniquerait s’il la brusquait.
Marguerida pouffa nerveusement dans son cou, et la tiédeur de son haleine le chatouilla.
— C’est un bon début, continue.
— Tu es la femme la plus intelligente et la plus brave que j’aie jamais connue.
Elle ne bougea pas, et il sut qu’il n’avait pas trouvé les mots justes.
— Tu es la femme la plus belle que j’aie vue de ma vie. J’aime la façon dont tes yeux brillent à la lueur du feu, et tes cheveux toujours un peu décoiffés. La première fois que je t’ai vue, Margaret Alton, j’ai eu envie de t’arracher ta robe et de te posséder ! Les courbes de tes lèvres accélèrent le rythme de mon cœur, qui se réjouit quand tu ris, et se brise quand tu pleures. Voilà ce que j’ai envie de faire depuis une éternité.
Il repoussa les longs cheveux roux, dégageant le cou blanc et lisse, puis il posa les lèvres sur la peau tiède et satinée.
Mikhail sentit la tension de Marguerida, la raideur de ses membres, sa volonté de s’écarter. Mais en même temps, il perçut une réaction de la chair, un désir, doux et hésitant, mais bien réel. Il la sentit poser sa main gauche sur sa poitrine, caresser doucement son torse, comme effrayée.
Puis Marguerida sembla réaliser ce qu’elle faisait, car elle retira vivement sa main, se dégagea et regarda sa paume. Quand elle releva la tête, ses yeux étaient dilatés. Elle déglutit avec effort, puis posa de nouveau sa main gauche sur sa poitrine, et il s’attendit à recevoir une violente décharge d’énergie en plein cœur. Mais il n’y eut rien, à part le doux frémissement du laran, comme au passage d’un voile.
— Tu es la seule personne que je puisse étreindre sans danger pour l’un ou l’autre, dit-elle d’un ton révérenciel. Je ne m’en suis jamais doutée. Je me demande…
— Demande-toi plus tard, ma chérie.
Marguerida lui mit alors ses bras autour du cou, et pressa sa bouche contre la sienne, leurs deux corps comme fondus ensemble, comme si elle avait fait cela toute sa vie. Ils étaient un peu hors d’haleine quand ils s’écartèrent, et se levèrent d’un commun accord, enlaçant leurs mains.
Ils s’allongèrent sur les couvertures devant la cheminée, et se caressèrent et s’embrassèrent avec douceur. Mikhail était presque submergé par les exigences impérieuses de son corps, mais il refusa de se hâter, malgré son désir ardent. Il effleura ses seins de ses lèvres, l’entendit haleter, la sentit se raidir d’excitation et prolongea ses baisers jusqu’à ses hanches, la sentant trembler sous ses lèvres.
Puis, dans une explosion d’énergie, toute la passion déniée à Marguerida toute sa vie brisa quelque digue invisible.
Elle inonda le corps et l’esprit de Mikhail, ardente et impatiente, hésitante et nostalgique. Un fugitif instant, il sentit une résistance, puis un abandon tel qu’il n’en avait jamais rêvé.